Juste avant de partir du travail, Cassy, une bonne amie à moi m'avait appelé. Elle avait toujours des idées bizarres, et là, elle avait été envoûtée par un de ces fameux phénomènes qui touchent notre région sans arrêt...selon elle. Sa voix était comme à l'ordinaire, pressée, sur le ton de l'impatience. Mais j'y décelait une curieuse teinte d'inquiétude, ce qui ne lui ressemblait pas, mais alors pas du tout. Seulement, ce qu'elle me dit me mit la puce à l'oreille.

"Moëna, c'est très très très bizarre, je te jure, tout le monde en parle, t'as dû en entendre parler cent cinquante fois aujourd'hui. Hier il y a encore eu une disparition."

Et voilà, j'en était sûre, il fallait qu'elle me parle de ça.

"Non, tu as tord, Cassy, on a dû m'en parler trois cent cinquante fois aujourd'hui. Mais enfin, mon père aussi s'est barré avec Lola sans prévenir, et il a donné de ses nouvelles deux mois après, on en a pas fait tout un plat..."

Je repensai à Lola, mais essayais de chasser son visage de mes pensées avant de déprimer. Il est vrai que depuis pas mal de temps, les gens disparaissent. C'est comme une épidémie, ils partent, et ne reviennent plus vraiment. Les petites mamies racontent que quand elles étaient jeunes, la même chose s'était produite. Les gens partaient vers la pointe de Groix et disparaissaient. 1961, oui c'était en 1961. Et nous sommes en 2011. Quelle histoire, franchement.

"Mais, Moë, tu sais bien que c'est déjà arrivé avant...
-Bon allez, je rentre là, je te rappelle après, Bisous Cassy"

Elle allait me harceler de messages, mais quelque chose me trottait dans la tête. Je suis donc rentrée chez moi, j'ai mis mon téléphone portable en charge, puis je suis descendue, un sandwich de pain de mie au Nutella dans la main, prendre ma voiture. Je ne savais pas pourquoi, mais cette histoire qui m'avait laissé indifférente tout au long de la journée, venait de réveiller ma curiosité. Après tout, j'avais du temps à perdre. Je serais rentrée juste avant le dîner, et je pourrais rappeler Cassy en lui fichant la peur de sa vie. Elle allait effondrer en apprenant que j'étais allée à la pointe. Mais bon, je voulais voir de mes yeux cette brume qui ne s'en va plus.

La route n'était pas longue, et même si la pointe n'était pas indiquée, je trouvais sans peine l'endroit. Le temps se rafraîchissait. Et, garée sur l'herbe même, je pouvais voir cette brume épaisse qui estompait la vue. Curieux. Je sortais de ma voiture sans prendre la peine de la fermer à clé. J'allais revenir quelques instants plus tard, non ? Je ne pense pas que le destin avait prévu cela pour moi. Une seule idée traversait mon esprit alors que je me rapprochais de la brume inconsciemment. Moi aussi j'allais disparaître, moi aussi les gens me chercheraient, en vain. Moi aussi la pointe de Groix m'emporterait. Qu'allais-je découvrir ?

Où était la brume ? Peut-être encore là, mes yeux s'y seraient habitués. Aucune idée. J'avais juste le sentiment d'avoir fait une grosse, grosse bêtise. J'étais sur la pointe, j'entendais la mer qui grondait. Je voyais la terre sous mes pieds, la nature, et rien d'autre à part ce blockhaus que je croyais détruit depuis longtemps. Mais si j'étais là, les gens qui avaient disparu, y étaient aussi ?